Attitudes envers les animaux sauvages chez les chasseurs et la population générale

Attitudes envers les animaux sauvages chez les chasseurs et la population générale

[Cet article utilise, cite et explique de nombreux éléments issus de cette publication.]

Depuis plusieurs années, le monde de la recherche s’intéresse aux attitudes de la population vis-à-vis des animaux sauvages. Pour mieux comprendre ces attitudes, et éventuellement déceler les lignes d’opposition entre plusieurs groupes sociaux, des chercheurs et chercheuses ont développé un outil d’évaluation des attitudes appelé « Wildlife value orientations » (WVOs). Ce questionnaire de dix-neuf questions vise à mesurer les attitudes des citoyens sur deux dimensions principales, à savoir l’utilisation et la protection des animaux sauvages. D’un point de vue empirique, ce questionnaire a permis de mettre en évidence deux grands types d’attitudes envers les animaux sauvages : la domination et le mutualisme.

La domination renvoie à l’idée de prioriser le bien-être humain sur celui des animaux sauvages et de les utiliser au bénéfice des êtres humains. Le mutualisme renvoie quant à lui au fait de voir les animaux sauvages comme une partie de la communauté sociale qui méritent soins et protection.

En croisant ces deux types d’attitudes, les chercheurs et chercheuses ont identifié quatre catégories de profils :

  1. Les traditionalistes présentent un fort score de domination et un faible score de mutualisme. En d’autres termes, ils/elles pensent que les animaux sauvages doivent être utilisés pour le bénéfice de l’espèce humaine et que les besoins des humains doivent primer sur la protection de ces animaux. Les traditionalistes sont souvent des consommateurs de la faune sauvage, soutiennent les pratiques de régulation des animaux sauvages et même les pratiques létales à leur encontre.
  2. Les mutualistes présentent au contraire une faible propension à la domination et, par définition, de forts scores de mutualisme. Ils/elles partagent l’idée que humains et animaux sauvages font partie d’une même famille qui devrait co-exister et bénéficier de protections similaires. Contrairement aux traditionalistes, les mutualistes font preuve d’empathie envers les animaux sauvages, se soucient de leur bien-être et tendent à rejeter la souffrance qui peut leur être infligée (dont le fait de les tuer).
  3. Les pluralistes se distinguent par de forts taux de domination et de mutualisme. Ils/elles expriment davantage l’une des deux dimensions en fonction des contextes. Leur comportement est plus difficile à prévoir.
  4. La dernière catégorie regroupe les individus distants. Ces derniers présentent des faibles scores de domination et de mutualisme : ils/elles n’expriment ainsi qu’un intérêt limité pour les questions de conservation et d’animaux sauvages.
Image issue de Landon et al. (2019)

Au niveau agrégé, les travaux précédents ont montré que la population générale en Europe et aux Etats-Unis a tendance à être principalement mutualiste, ou bien distante. Ces travaux tendent également à montrer que les individus plus jeunes, les femmes, les urbains ont tendance à être davantage mutualistes, tandis que les hommes, les personnes plus âgées et les ruraux ont de plus forte chances d’être traditionalistes.

Dans un récent travail, Liordos et al. (2023) apportent des données chiffrées sur les attitudes envers la faune sauvage en Grèce et s’intéressent plus particulièrement à deux populations spécifiques : les chasseurs et les agriculteurs. En utilisant le questionnaire de WVOs présenté ci-dessus, l’équipe de recherche montre plusieurs résultats importants :

  1. Leurs données confirment que la population générale est principalement mutualiste (41%) ou bien distante (31%). Moins d’une personne sur cinq est catégorisée comme traditionaliste (18%).
  2. Les auteurs observent également que les agriculteurs présentent des attitudes similaires à la population générale, avec 40% de mutualistes et 31% de distants.
  3. Les chasseurs se démarquent fortement de la population générale : presque un chasseur sur deux peut être vu comme traditionaliste (48%), tandis que seulement 17% d’entre eux présentent des attitudes à dominante mutualiste. Ils sont assez naturellement peu nombreux à avoir une approche distante des animaux sauvages (9%) et sont davantage nombreux à pouvoir être catégorisés comme pluralistes (26%).
  4. Les auteurs identifient également une population d’agriculteurs-chasseurs. Ces derniers présentent des attitudes à mi-chemin entre les populations d’agriculteurs et de chasseurs.

Analyse personnelle. Ces résultats mettent en lumière la difficulté à arriver à un consensus sur les pratiques de gestion des animaux sauvages et les interactions que nous entretenons avec eux. L’hétérogénéité des attitudes et des valeurs mise ici en exergue peut expliquer la relative paralysie dans laquelle se trouvent les débats autour des réformes des pratiques de chasse. Ces résultats permettent également d’expliquer la position relativement minoritaire des chasseurs dans le débat public : leur système de valeurs étant significativement différent du reste de la population, il peut leur être difficile de saisir les critiques qui leur sont adressées. Au contraire, la population générale, qui voit davantage dans l’animal sauvage un individu sujet de droits avec qui co-habiter, peut avoir du mal à comprendre les comportements de domination exprimés par le milieu de la chasse.