Les Français sont-ils prêts à manger de la viande cultivée ?

La récente autorisation de mise sur le marché de nuggets de poulet issus de viande cultivée à Singapour a ouvert de nombreuses discussions en France sur l’arrivée dans les années à venir de ces nouveaux produits dans l’Hexagone. Le Ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie, s’est d’ailleurs exprimé violemment contre l’arrivée de cette nouvelle technologie sur le territoire. Pourtant, si certains voient le passage à la viande cultivée comme un changement de consommation inéluctable (35% des parts de marché d’ici 2040 selon certaines projections), une question centrale au développement de ces produits est de savoir si les consommateurs sont prêts à adopter cette nouvelle technologie porteuses de nombreuses promesses.

Une nouvelle étude sur les consommateurs français

Une récente étude de Bryant, Van Nek et Rolland (Foods, 2020) propose une première grille de lecture sur l’acceptabilité de la viande cultivée par les consommateurs français. Ces résultats, s’ils sont à prendre avec précaution car ils demeurent nécessairement hypothétiques étant donné l’absence de viande cultivée dans l’Hexagone à l’heure actuelle, apportent cependant de nombreuses informations permettant de mieux cerner l’intérêt des Français pour ces nouvelles techniques de production de viande.

Une volonté de réduire la consommation de viande

Les auteurs explorent la perception des Français de la viande cultivée à partir de données obtenues sur un échantillon représentatif de la population française (Décembre 2019, Ipsos). La grande majorité des participants se déclarent comme consommateurs réguliers de viande (68,5%) mais l’échantillon comporte également de nombreux fléxitariens (25,9%), et, dans une moindre mesures, des végétariens (2%), végans (0,6%) et pescétariens (0,6%). Les auteurs mesurent également la volonté des consommateurs à diminuer leur consommation de viande dans le futur : 41,3% des Français déclarent ainsi vouloir réduire leur consommation de viande tandis que 31% indiquent le contraire.

La France : un terrain propice pour la viande cultivée ?

Cette aspiration relativement forte à vouloir réduire la consommation de viande chez nos concitoyens offre un terrain potentiellement propice à la viande cultivée si cette dernière arrive à répondre aux préoccupations des consommateurs. Parmi les raisons évoquées par les Français pour réduire leur consommation de viande, on note l’amélioration du bien-être animal (49,2%), la réduction des antibiotiques (38,7%), le coût (36,5%), et la santé (27,9%). On notera que la question environnementale, hélas omise dans le questionnaire de l’étude, est également susceptible de convaincre de nombreux consommateurs à diminuer la viande rouge. Si les promesses de la viande cultivée sont tenues -ce qui ne sera vérifié qu’une fois la technologie mature-, alors elle a de grandes chances de répondre aux préoccupations des consommateurs français.

Dans le tableau ci-dessous, on observe que le consommateur français n’est pas foncièrement opposé à la viande cultivée. En effet, 44,2% des personnes interrogées déclarent être prêtes à goûter la viande cultivée. Un tiers des consommateurs serait même prêt à acheter ce produit (36,8%) voire à remplacer sa consommation de viande conventionnelle par de la viande cultivée (34,2%). Si une majorité de Français est toujours opposée à ces produits (49,1%), il est fort probable que cette opposition diminue au cours du temps. En effet, deux tiers des participants répondent ne jamais avoir entendu parlé de ces nouveaux produits (62,4%) et un participant sur cinq en avait entendu parler sans savoir de quoi il s’agissait (21,6%). L’exposition plus régulière à ces produits, une fois ces derniers commercialisés, permettra probablement d’augmenter l’acceptation de ce produit par la population.

	Oui	Peut-être	Non
Déjà entendu parlé de la viande cultivée	16%	21,6%	62,4%
En faveur de la viande cultivée	20,1%	30,8%	49,1%
Essayerait la viande cultivée	44,2%	9,8%	46,1%
Achèterait de la viande cultivée	36,8%	13,8%	49,4%
Remplacerait la viande conventionnelle (consommateurs de viande uniquement)	34,2%	12,9%	52,8%

Quels sont les consommateurs les plus intéressés par la viande cultivée en France ?

À l’aide d’analyses multivariées, les auteurs montrent que certains profils sont plus susceptibles de vouloir acheter la viande cultivée. Ils montrent que les hommes, les jeunes, et les urbains indiquent davantage vouloir en consommer. Plus surprenant, les auteurs observent que les travailleurs agricoles indiquent également une plus forte volonté d’acheter de la viande cultivée.

Quelles dimensions retiennent la vigilance des consommateurs ?

La dernière partie de l’article s’intéresse aux arguments qui pourraient conduire les consommateurs à davantage accepter la viande cultivée dans le futur. Les auteurs montrent que les consommateurs sont le plus soucieux des aspects sanitaires. La diminution, voire la fin, du recours aux antibiotiques inciterait ainsi 64% des consommateurs à changer leur regard sur la viande cultivée, et 58,4% pour la réduction des risques pathogènes. Une majorité des Français déclarent également scruter avec attention les questions environnementales (54%) et celles liées au bien-être animal (53,4%).

Take-home message

L’étude de Bryant, Van Nek et Rolland (Foods, 2020) nous montre que la population française n’est pas fermée à l’idée de la viande cultivée. Une large majorité des consommateurs n’a jamais entendu parler de cette nouvelle technologie et un enjeu clef pour cette industrie est de savoir comment cette perception évoluera au cours du temps. Les projections de 35% des parts de marché au niveau mondial d’ici 2040 paraissent certes élevées pour le cas du marché français, mais pas irréalistes eu égard au fait qu’un tiers des consommateurs annonce être prêt à substituer la viande cultivée à la viande conventionnelle.

La percée sur le marché de la viande cultivée dépendra principalement de sa capacité à tenir ses promesses, nombreuses et très attirantes mais encore hypothétiques, sur les questions sanitaires, environnementales et en matière de bien-être animal.