Entretien avec Florence Cornillon, vétérinaire auditrice en abattoirs
Romain Espinosa (RE) : Bonjour Florence Cornillon. Vous êtes Vétérinaire Cheffe de fil des Audits Abattoir pour l’entreprise SDBF. Votre travail consiste à veiller au respect de la réglementation liée à la condition animale dans les abattoirs. Vous avez participé mardi 26 mars 2024 à la 13ème journée vétérinaire bretonne à Lorient où vous avez présenté votre métier, très souvent méconnu du grand public.
RE : Est-ce que vous pouvez nous expliquer en quoi consistent vos missions ?
Florence Cornillon (FC) : Ma mission principale consiste à auditer les abattoirs. Je me rends sur site pour évaluer les abattoirs à partir de grilles d’évaluation. Ces grilles d’évaluation sont multiples et une bonne partie de mon temps consiste d’ailleurs à suivre les évolutions réglementaires. Certaines grilles sont directement issues des ‘guides de bonnes pratiques’ édictés par les interprofessions. À ce jour, toutes les filières ont rédigé des guides de bonnes pratiques (bovins, ovins, porcs, volailles), bien que seul celui pour les bovins ait été validé par le Ministère de l’Agriculture. Pour pouvoir être validés, ces guides doivent avoir été évalués favorablement par l’ANSES (Agence Nationale de Sécurité de l’Alimentation, de l’Environnement et du Travail). Ces guides regroupent principalement des solutions concrètes pour répondre aux exigences réglementaires. Parfois, nous effectuons également des audits spécifiques avec des cahiers des charges plus précis (comme pour l’étiquetage AEBEA = association étiquette bien-être animal).
L’évaluation des pratiques de l’abattoir n’est qu’une partie du travail. Le plus intéressant à mes yeux sont les échanges que nous avons avec l’équipe de l’abattoir (les salariés, le vétérinaire attitré à l’abattoir) après la phase d’observation. Nous revenons sur les dysfonctionnements ou les pistes d’amélioration qu’on a pu observer et on donne des conseils sur la mise en conformité ou comment minimiser la souffrance animale. On est avant tout dans une logique de co-construction avec les abattoirs : les audits sont planifiés en accord avec les abattoirs, la grille d’évaluation est également communiquée.
RE : Dans votre présentation, vous êtes revenue sur les difficultés à renouveler la main-d’œuvre des auditeurs d’abattoirs. Est-ce que vous pouvez nous expliquer pourquoi ?
FC : C’est le résultat de plusieurs éléments. Tout d’abord, il faut comprendre que ce n’est pas facile de devenir auditeur en abattoir. Il faut le plus souvent passer par un protocole d’habilitation, par l’organisme à l’origine de la grille d’évaluation (interprofessions, association étiquette bien-être animal). Dans ces cas, le premier prérequis est d’être soit vétérinaire, soit éthologue. En outre, il faut une expérience préalable dans les abattoirs. Comme les éthologues n’ont généralement pas d’expérience en abattoir, on ne trouve en réalité que des vétérinaires parmi les auditeurs. Il faut également ne pas avoir de conflit d’intérêts : pas de relation commerciale avec une des parties prenantes et ne pas être membre d’une fédération d’abattage, d’un abattoir ou d’une ONG de protection animale.
Ensuite, il faut trouver du monde. On a un métier qui est difficile avec beaucoup de déplacements loin du domicile et une partie administrative assez lourde. Une fois qu’on a trouvé quelqu’un de motivé, il faut ensuite le former. Puis, on peut rencontrer des difficultés à faire habiliter nos jeunes recrues : il y a parfois une frilosité à habiliter de nouvelles personnes. Enfin, les audits vétérinaires coûtent cher. On voit d’ailleurs qu’il y a une baisse du nombre de grilles d’évaluation : les fournisseurs se regroupent pour mutualiser les audits.
RE : Récemment encore, vous avez également participé à la création de l’étiquette bien-être animal, originellement développée par Casino, puis maintenant généralisée. Est-ce que vous pouvez nous en dire un mot ?
FC : Oui, nous avons travaillé avec les équipes qui ont monté l’étiquette bien-être animal. La première version concernait les poulets de chair. Cette catégorisation en cinq niveaux visait à mieux informer le consommateur. À l’origine, le cahier des charges pour les niveaux A et B correspondait aux élevages bio et plein air et le niveau C correspondait à l’élevage claustré dit « amélioré », car allant au-delà des minima réglementaires. L’audit se fait sur la partie élevage (deux heures environ) et la partie abattoir (une journée). Les auditeurs pour l’étiquetage bien-être animal doivent être expérimentés : posséder au moins un BAC+2 pour la partie élevage et être vétérinaire ou éthologue pour la partie abattoir, avoir une expérience dans le domaine, suivre deux jours de formations, faire deux audits qui sont corrigés par leur formateur, et faire au moins un audit par an. Nous sommes intervenus pour tester les grilles d’évaluation et faire des retours à l’équipe de l’étiquette bien-être animal.
RE : Dans votre présentation, vous avez également abordé la question de la généralisation de la vidéosurveillance dans les abattoirs. Où en est-on aujourd’hui et comment est-ce perçu ?
FC : Il faut distinguer les petits animaux des animaux de boucherie. Sur la volaille, la vidéosurveillance s’est bien déployée. Une des craintes principales concernait l’utilisation de la vidéo pour sanctionner des salariés. Chaque installation a été précédée d’un travail important sur ce sujet avec le personnel de l’abattoir. Sur les petits animaux, on a pu positionner facilement les caméras pour suivre les animaux sans montrer le visage des salariés. Pour les animaux de boucherie, c’est beaucoup plus lent, mais ça progresse.
Des retours que j’ai, la vidéosurveillance a pu apporter des éléments positifs. Cela a pu aider à comprendre ce qui se passe à certains moments, comme lors du déchargement des animaux pendant la nuit. Cela a pu améliorer les pratiques : on discute de ce qui est fait en regardant les vidéos et on donne des conseils pour s’améliorer. J’ai aussi entendu dire que certains salariés font plus attention, car ils savent qu’ils sont filmés. Dans tous les cas, je n’ai jamais entendu de personnel se plaindre de la vidéosurveillance une fois que celle-ci a été mise en place. Cependant, il faut du temps pour visionner les images, et leur interprétation n’est pas toujours facile, et souvent plus délicate que les constats faits directement sur le terrain où on peut changer d’angle de vue, et où on a accès à plus d’informations de contexte.
RE : Durant les échanges, vous avez également apporté des éléments sur l’abattage sans étourdissement. Dans le débat public, on entend souvent qu’on tue bien plus d’animaux que ce dont en a réellement besoin. Est-ce que vous pouvez nous éclairer là-dessus ?
FC : Oui, il y a principalement trois raisons à cela. Mais avant tout, je tiens à rappeler une chose primordiale : on ne peut procéder à un abattage sans étourdissement que si on a une commande en face. On ne procède pas sans aucune raison. Les abattoirs sont contrôlés sur ce point.
Mais trois raisons font qu’on produit plus de viande sans étourdissement que ce dont on a besoin. La première, c’est une question d’équilibre matière : parfois, on a une commande de viande sans étourdissement pour des parties spécifiques de l’animal. Mais pour les produire, on est obligé de tuer un ou plusieurs animaux en entier. Ce qui n’est pas dans la commande, mais qui a été produit part ensuite dans le circuit conventionnel. La deuxième raison, c’est que toutes les carcasses ne sont pas acceptées par les autorités religieuses. Parfois, la moitié des carcasses sont rejetées. Dans certains cas par exemple, s’il y a une adhérence pulmonaire, la carcasse est rejetée. On est donc obligé de tuer plus d’animaux que ce qu’on utilise au final. Enfin, la troisième raison, ce sont les saisies vétérinaires. Cela arrive quand les inspecteurs estiment qu’il y a un risque d’insalubrité ou bien un défaut organoleptique trop grand. Pour répondre à la commande de l’acheteur, on peut être amené à anticiper ces saisies et donc on prévoit aussi plus d’abattages sans étourdissement.