Bien-être animal : le grand absent des discussions sur le changement climatique

La question de l’impact du changement climatique sur les animaux est souvent analysée sous le prisme de la biodiversité. Cependant, si les enjeux de bien-être animal et de biodiversité sont intimement liés, ils ne se recoupent pas totalement. Dans un récent travail, Katie Mc Shane explique pourquoi il est important d’analyser l’impact du changement climatique sur le bien-être des animaux de manière distincte des questions de biodiversité, des écosystèmes ou du bien-être humain. Je résume ici les grandes lignes de son travail.

Pourquoi s’intéresser au bien-être animal dans le cadre du changement climatique ?

Le changement climatique affectera dans les prochaines décennies le bien-être des animaux de manière significative. Les difficultés auxquelles les êtres humains seront confrontés (e.g., événements climatiques extrêmes, famine, raréfaction de l’eau) concerneront également les animaux. Certains parmi eux pourront être ‘gagnants’ au changement climatique mais il y aura également (et surtout peut-être) des animaux ‘perdants’ pour qui les possibilités d’adaptation s’avèrent beaucoup plus limitées que pour les êtres humains. 

L’impact sur le bien-être animal est donc bien réel. Katie McShane explique que nous devons prendre en compte cette dimension dans les travaux scientifiques et les décisions publiques sur le sujet. McShane formule quatre hypothèses pour arriver à cette conclusion :

  • H1 : Il existe des animaux (non-humains) dont le bien-être est à prendre en considération d’un point de vue moral.
  • H2 : Quand nous agissons, il est impératif prendre en compte l’impact de nos choix sur les individus que nous impactons et, toutes choses égales par ailleurs, il nous faut choisir l’option qui génère le moins dommages à autrui. 
  • H3 : L’existence du changement climatique est un consensus établi ainsi que la responsabilité humaine associée.
  • H4 : Le changement climatique va avoir des effets très importants (directs et indirects) sur le bien-être des animaux. Ces effets peuvent résulter du changement climatique lui-même ou des stratégies d’adaptation ou de mitigation des êtres humains. 

Mis bout à bout, ces arguments plaident pour prendre en considération l’impact du changement climatique (dont nous sommes responsables) sur bien-être des animaux : nos choix influencent le changement climatique (H3), qui à son tour affecte les animaux (H4), or ces derniers doivent entrer dans nos considérations morales (H1). Comme nous nous engageons à limiter l’impact négatif de nos actions sur autrui (H2), alors nous devons prendre en compte le bien-être animal dans les discussions d’action luttant contre le changement climatique. 

Quelle place pour le bien-être animal dans les travaux du GIEC ?

Créé en 1988, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a pour objectif de produire au travers de rapports aux décideurs publics un état des lieux des connaissances scientifiques sur les coûts et bénéfices associés au changement climatique et l’impact espéré des mesures visant à l’empêcher ou à s’adapter. Dans le 5ème rapport du GIEC, McShane note que le document se donne pour ambition de mesurer l’impact du changement climatique sur les systèmes ‘naturels’ et ‘humains’, ce qui devrait inclure le bien-être des animaux évoluant dans ces systèmes. Cependant, le rapport ne traite pas directement de cette question : l’enjeu du changement climatique pour les animaux est discuté au travers de leur existence (ou leur disparition), leur diversité, ou leur fonction écosystémique, mais rien n’est dit sur  qualité de la vie des animaux en vie, contrairement aux êtres humains. 

La question du bien-être animal n’est abordée de manière très succincte qu’à deux occasions.  Premièrement, le troisième groupe de travail note que les principes de justice sur la question climatique pourraient également s’appliquer aux animaux non-humains. Dans le rapport, on peut ainsi lire : 

If animals, plants, species, and ecosystems do have value in their own right, then the moral impact of climate change cannot be gauged by its effects on human beings alone. If climate change leads to the loss of environmental diversity, the extinction of plant and animal species, and the suffering of animal populations, then it will cause great harms beyond those it does to human beings. IPCC, 2014b, p. 220, emphasis added

Citation de McShane du 5ème rapport du GIEC

La deuxième exception concerne la discussion sur le développement durable qui se fixe pour objectif final le « bien-être de tous les êtres vivants » (IPCC, 2014b, p. 322). Cependant, les discussions autour du bien-être animal s’arrêtent ici, ce dernier étant, selon les auteurs du rapport, encore difficile à évaluer. Le rapport du GIEC fait donc ainsi l’impasse sur les conséquences directes du changement climatique sur le bien-être animal.

Le bien-être animal n’est-il pas analysé de manière indirecte ?

Si la question du bien-être animal n’est pas analysée de manière directe dans le rapport du GIEC, on pourrait arguer qu’elle est prise en compte de manière indirecte au travers des  questions de biodiversité, des écosystèmes, ou du bien-être des êtres humains qui sont effectivement traitées par le GIEC. En effet, nombre des détériorations environnementales à venir qui auront des impacts sur la qualité de vie des animaux auront également des conséquences négatives sur la biodiversité, les écosystèmes et le bien-être des humains. En réalité, ces dimensions recoupent des réalités différentes du bien-être animal et en sont ainsi des approximations imparfaites.

En ce qui concerne la biodiversité, l’objectif poursuivi en matière de conservation est principalement celui de la préservation des espèces, et même dans ce domaine il difficile de définir un but précis. Maintenir le plus grand nombre d’espèces différentes ? Avoir des espèces les plus différentes les unes des autres (morphologie, génétique, etc) ? Avoir le plus d’individus dans chaque espèce ? Outre ces difficultés méthodologiques, la diversité n’est pas nécessairement synonyme de bien-être pour les animaux. Une région peut présenter une forte diversité d’animaux mais ces derniers peuvent être en grande souffrance. Le seul moment où les objectifs de bien-être animal et de biodiversité se recoupent est celui où le bien-être des animaux affecte leur reproduction ou leur mortalité. Autrement, et de manière générale, la protection de la biodiversité vise à protéger l’existence d’espèces et non pas le bien-être de leurs membres

En ce qui concerne les services rendus par les écosystèmes, ici encore, la question est différente de celle du bien-être des animaux. Les besoins des animaux étant propres à chaque espèce, tous ne bénéficient pas autant du même écosystème. Certains écosystèmes peuvent ainsi impacter positivement les êtres humains et négativement les animaux.

Considérations pratiques

L’auteure note que les pays peuvent avoir des considérations très différentes de la question du bien-être animal, ce qui rend incertain son inclusion dans les négociations internationales. Cependant, McShane note que ne pas rendre compte de l’impact du changement climatique sur le bien-être des animaux conduit nécessairement à ne pas prendre en compte cette dimension dans le discours politique. Il est donc important que les rapporteurs du GIEC, mais plus généralement tous les scientifiques travaillant sur l’impact du changement climatique, s’en saisissent.